
La crise née de la succession de l’imam Assifatou AMOUSSA MOHAMED (1951-2025) n’a pas eu le temps de perdurer grâce à la diligence express du chef de l’État qui a recadré les principaux protagonistes. Ainsi, la reconnaissance de Sheikh Samad Ichaou ALAKOUKO au titre suprême d’imam de la mosquée centrale de Porto-Novo a été établie. En observance du précepte cardinal du respect de l’autorité en islam, qu’il me plaise de faire acte d’allégeance au nouvel imam. La clarification s’avère nécessaire pour le nouveau chef de la communauté musulmane à la protection divine et pour fixer les esprits qui sont irrités à l’évocation de la mémoire de son prédécesseur.
« Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli. »
La parenthèse ainsi fermée, je me dois de rappeler que le devoir de mémoire est une obligation morale intemporelle qui ne permet point de ranger les défunts dans les tiroirs de l’oubli. Ainsi, c’est l’ensemble de l’œuvre de Jean d’ORMESSON (1925-2017) sur la vie et la mort qui m’inspire en ce moment où je livre le deuxième épisode du dernier combat que l’imam a livré au nom du respect de la dignité humaine.« Il y a quelque chose de plus fort que la mort: c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants et la transmission à ceux qui ne sont pas encore, du nom, de la gloire, de la puissance et de l’allégresse de ceux qui ne sont plus, mais qui vivent à jamais dans l’esprit et dans le cœur de ceux qui se souviennent. » Cette citation attribuée au philosophe et académicien français renvoie dans l’univers du droit à la vérité à travers le rappel indispensable du narratif, dans un contexte de domination, parce que, comme le dit si bien Elie Wiesel: « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli. » Même si le bourreau ici n’est pas capable de tuer, il a été capable d’humilier, de persécuter, de rabaisser et de déstabiliser. L’adversité, l’imam l’a affrontée de la plus noble des manières au cours de cette séance de conciliation qui s’est déroulée quelque part à Porto-Novo le 18 février 2025, soit un mois jour pour jour avant de rejoindre son créateur.
« Quelle faute ai-je commise ? »
Cette prise de parole dont les extraits ont circulé sur les réseaux sociaux a été heureusement archivée. Ceux qui ont toujours mis en cause son calme et son sens aigu de l’observation ont été comblés en raison des circonstances et des interlocuteurs à ladite réunion. En répétant à plusieurs reprises l’expression « quelle faute ai-je commise ? », en martelant qu’il demeure jusqu’à nouvel ordre celui qu’Allah a investi des charges de titulaire de l’office de l’imam de la mosquée centrale, l’imam Assifatou AMOUSSA MOHAMED a appelé au respect de sa personne et de ses fonctions. et extériorisé ce qu’il a vécu comme une frustration accumulée depuis son retour du congrès de l’Union islamique du Bénin tenu à Parakou en 2019. En effet, il s’y est rendu en faisant fi des instructions contraires reçues, en signe de protestation contre les conclusions de la médiation présidentielle, contre la volonté de ses pairs. Mieux, il ne doit échapper à personne que c’est suite à une crise que le principe de la prééminence des fonctions de dignitaire, dans l’ordre organisationnel de l’islam au Bénin, a été écarté. Sur la question de la présidence tournante à la tête de l’UIB, il était isolé d’avec les siens, au point où un des leurs a affirmé après sa mort qu’il a été victime d’une injustice pour avoir passé le témoin en 2022 à Bohicon. En effet, lorsqu’il avait pris les rênes de l’organisation faitière, ils ont rêvé d’une présidence à vie comme ce fut le cas pour ses illustres prédécesseurs, les imams centraux de Cotonou et de Natitingou de respectées mémoires. Il en a durement payé le prix. À son corps défendant, dans l’épreuve, il a pris certaines initiatives courageuses de haute portée symbolique.
« Kiyi se omo adjatchê. »
La persécution dont il a été la cible a aussi pris la forme d’une cabale discriminatoire digne de la période de la jahiliyyah en ce sens que l’environnement des affaires religieuses est pourvoyeur des préjugés qui donnent lieu à des antagonismes tribaux vaniteux. C’est un secret de Polichinelle que de dire qu’il a été dit qu’il n’est pas de Porto-Novo, pour reprendre l’expression consacrée « kiyi se omo adjatchê ». Cette phrase l’aurait certainement marqué au plus profond de son âme. Elle exprime aussi la lâcheté de ses auteurs. La question qui se pose est de savoir qui est « omo adjatchê » et qui ne l’est pas ? Si ceux qui propagent cette ignominie peuvent avoir au moins une fois le courage de dresser le portrait type de celui qui peut être considéré comme « omo adjatchê » à la lumière des sciences humaines pertinentes, ils auraient rendu service à cette cité qui souffre tant à réaliser l’unité. Mais ils n’en seraient pas capables parce qu’ils ne peuvent s’aventurer sur cette piste au risque d’être recadrés, parce que notre ville est cosmopolite, parce que, de par son histoire et sa géographie, c’est une terre de rencontre des peuples, de par son aura politique, c’est la vitrine de notre pays. De telles considérations sont indignes parce qu’elles sont contraires aux valeurs éthiques et morales de l’islam. L’attachement à un territoire peut dépendre de plusieurs facteurs et le mérite d’une fonction doit dépendre du profil de chaque candidat.
Rejet de la médiocrité, de la discrimination et de l’autoritarisme issu du pacte colonial
Si ceux qui veulent continuer à diriger les musulmans de Porto-Novo ne peuvent pas se conformer aux préceptes de l’islam parce qu’ils n’ont pas eu la chance d’accéder à sa culture, parce qu’ils pensent que cela n’arrange pas leurs intérêts moraux, parce qu’ils pensent que les musulmans de Porto-Novo doivent continuer à être gérés comme à l’époque d’avant les indépendances, je voudrais préciser qu’au 21ᵉ siècle, tout ce qui est revêtu du sceau du pacte colonial est combattu parce qu’il attise la rancœur et réveille les frustrations. La résistance opposée à l’investiture brutale intervenue le 21 mars 2025 s’inscrit dans cet ordre d’idée. Si ceux qui veulent continuer à diriger les musulmans de Porto-Novo ont compris le sens de cette révolte communautaire, ils doivent réinitialiser les fondements de leur pouvoir afin que l’autorité qu’ils comptent incarner ne soit plus contestée. Le destin de toutes les communautés se joue à l’aune du rejet de toutes les formes, expressions et espèces de médiocrité qui avilissent la conscience et qui repoussent loin des sentiers du développement et de l’épanouissement collectif. En lien avec cette sordide retrouvaille déterrée pour exclure nombre de personnes capables aux fins de réduire leurs chances d’accéder à la fonction d’imam central de Porto-Novo, je veux parler de « kiyi se omo adjatchê », il faut dénoncer une autre considération aussi dangereuse que discriminatoire. Il s’agit de la propension à réserver la fonction à une catégorie de personnes issues de certaines collectivités. Cet imaginaire doit être combattu au point de le faire disparaitre de la conscience collective. L’ascension aux fonctions d’imam central devra désormais être organisée sur la base d’un appel à candidatures auquel peut prendre part toute personne justifiant d’un lien avec le terroir. La sélection devrait être conduite par un jury pluridisciplinaire composé de sachant dont la réputation auprès des pairs ne fait l’ombre d’aucun doute. Dans ce contexte, on ne parlera plus d’étranger, on ne mettra plus en évidence les origines ethniques et tribales. On mettra l’accent sur la compétence. Ainsi, on aura vaincu ensemble la fatalité de la médiocrité.